◐ Que faisiez vous au moment de la catastrophe, il y a dix ans, et comment avez-vous réagi ? En fait, pendant les vacances de décembre, pour fêter noël (et accessoirement mon anniversaire), on avait l'habitude de partir en montagne avec la famille au complet. Au moment de la catastrophe, j'étais donc au sommet d'une piste, entrain d'attendre que ma sœur se décide à chausser sa foutue paire de skis. En fait, à bien y réfléchir, heureusement qu'elle a trainé, ou je me serais retrouvée en bas de la station lors du raz-de-marée. Mais c'était pas tant ça le problème. Ouais, c'était plutôt l'avalanche qu'on allait se manger qui me faisait peur. Sous l'effet de l'adrénaline, j'ai pris ma frangine sous le bras et j'ai couru vers la seule piaule du coin. On s'est réfugiée dans le sous-sol et on a attendu trois plombes, à espérer que le toit ne nous tombe pas sur la gueule. Par miracle sûrement, la baraque a tenu bon face aux intempéries. Ça n'a malheureusement pas été le cas de ma petite sœur, qui est morte de froid. J'étais restée là, seule, et finalement, quand j'avais abandonné tout espoir de survie, d'autres rescapés sont venus me tirer de là-dessous. Une dizaine de minutes plus tard et j'y serais passée...
◐ Aimeriez-vous retrouver la terre ferme un jour ? Je n'en ressens pas spécialement l'envie ni le besoin. J'apprécie beaucoup l'air marin et ce n'est probablement pas demain la veille que ça va changer. Mais -parce qu'il y en a toujours un- c'est vrai que du temps d'avant, la vie était plus facile. On possédait tout à portée de main, il n'y avait qu'à marcher jusqu'à la supérette du coin. Les matières premières étaient moins rares aussi. Enfin, ces arguments sont plutôt sujet à controverse, étant donné qu'on trouve désormais du boulot plus facilement et qu'on peut se servir de tout et n'importe quoi comme monnaie d'échange. Quoi qu'il en soit, je ne supporte aujourd'hui plus de mettre pied à terre. Non seulement parce que j'ai pris l'habitude de vivre sur les flots, mais aussi parce que ça me ravive de trop mauvais souvenirs. Rien que de voir des cultivateurs labourer le sol m’horripile. Je préfère donc rester loin de ce soit disant "nouveau continent". Du moins, autant que possible. Parce que bon, l'argent c'est l'argent. Si il y a de la clientèle dans les parages, je me ferai un plaisir d'y bouger mon joli petit cul.
◐ Êtes-vous un adepte de la nouvelle religion ? Les extrémistes vous font-ils peur ou êtes-vous plutôt d'accord avec eux ? On va faire court : je ne crois pas en toutes ces conneries. Mèr ? M'ouais, je pense plutôt que les gens ont besoin de se raccrocher à une sorte d'entité supérieure pour se donner de l'espoir. Parce que l'espoir fait vivre d'après ce qu'on dit. Pour ma part, je pense que bouffer et boire font vivre effectivement. Mais l'espoir ? Quedal ! Vous vous nourrissez d'espoirs ? Vous buvez de l'espoir ? Vous vous habillez avec de l'espoir ? Non. Bah voila. Je respecte évidemment les convictions de chacun, mais ça ne m'empêche pas de les trouver stupides ou absurdes. Ce que je sais en tous les cas, c'est que l'espoir n'a pas aidé les pauvres gens qui sont morts en 2012, lors de la catastrophe. Quant aux extrémistes, ce sont juste de pauvres illuminés, ni plus ni moins. S'ils viennent me chercher des crosses, je leur en chercherais également. Je sais me défendre et je n'ai pas peur de le faire. Œil pour œil, et dent pour dent.
◐ Que pensez-vous des pirates ? Rien en particulier. Sans blague, vous voulez que je dise quoi ? Ouais ce sont des anticonformistes, ouais ils pillent, ouais ils saccagent parfois vos navires (et les nôtres aussi, au passage (quand ils arrivent à nous choper)), mais il faut de tout pour faire un monde. C'est la vie, faut s'y faire. Il y a toujours eu des riches et des pauvres, des petits et des grands, des minces et des gros. La vie est injuste depuis la nuit des temps. Bon, après, la justice est une question de point de vue. Elle est subjective. Par exemple, les pirates ont en simplement une représentation un peu plus... Disons singulière que la plupart des gens. Ils sont fantasques dans un sens et veulent vivre selon leurs propres règles. Je les respecte pour ça. D'ailleurs, j'aurais presque eu tendance à rejoindre leurs rangs. "Presque" parce que je ne veux pas de la milice collée à mon derche. Eh ouais, mine de rien, ils sont chiants quand ils s'y mettent, mesdames et messieurs les miliciens. Je trouve leur jeu du chat et de la souris ridicule cependant. Plus ils imposent de règles et plus les pirates ont envie de les transgresser. Et plus ils les traquent et plus les forbans deviennent agressifs, accessoirement. C'est comme jeter de l'huile sur un feu.
◐ Est-ce que l'eau vous fait peur ? Diantre non ! Et franchement, avec la nouvelle géographie de la planète, je souhaite bonne chance à quiconque en a peur, parce que ce quiconque doit vraiment souffrir de la situation actuelle. Mais ce n'est pas comme si je m'en préoccupais de toutes façons. Chacun son lot quotidien de merdes, hein. Par exemple, moi, tous les jours, je me casse le cul à faire le sale boulot pour les gens qui sont trop chichiteux pour descendre dans les noires profondeurs de l'océan. Remarquez, je serais au chômage sans ces chochottes. Et puis, plonger à le don de me relaxer. Bon, c'est sûr que quand tu tombes sur des os, c'est moins drôle (quoi que très instructif parfois) et plus crade, mais j'aime me laisser bercer par le silence des abysses maritimes. Et "les risques" du métier ne font que rendre la chose des plus excitantes. L'adrénaline est devenue ma drogue, en quelques sortes. Et très accessoirement bien sûr, il faut aussi avouer que c'est l'un des jobs les plus rentables de ce "nouveau monde". Donc non. Je n'ai pas peur de l'eau. J'adore ça, même. Et maintenant que je m'y suis habituée, je ne peux plus m'en passer.
◐ Que regrettez-vous le plus de votre vie passée ? Honnêtement ? A bien y réfléchir, je ne regrette pas grand chose. Inutile de se morfondre sur le passé, d'autant plus que ma vie actuelle me convient parfaitement. La famille ? Elle ne faisait que me mettre des bâtons dans les roues. Évidemment, elle me manque par moments, comme chacun des rescapés avec les leurs, mais je ne trouve pas sa présence indispensable. Pourquoi se saper le moral pour des morts, hein ? Vivons heureux pour eux. Faisons honneur aux sacrifiés, et profitons de la vie. (Note : les deux phrases précédentes, sont là histoire de ne pas passer pour une sans cœur. Amen.) Les amis ? On s'en fait n'importe où, n'importe quand. On s'en fait, on s'en défait. Et ainsi de suite. L'amitié est un facteur complètement subjectif. D'ailleurs, je dois être plus proche de mes "collègues" actuels que de mes amis d'antan. La technologie ? A la limite je m'en passe. En même temps, en dix ans, j'ai eu le temps de m'habituer à vivre sans. Mon boulot ? J'en n'avais pas, j'étais encore dans le système éducatif. Et c'est bien la dernière chose qui me manque, je vous assure.