◐ Que faisiez vous au moment de la catastrophe, il y a dix ans, et comment avez-vous réagi ? Je me rappelle de ce moment comme si c'était hier : j'étais à l'école alors, en CM1 - enfin l'équivalent américain que je ne connais pas. Mais nous n'étions pas dans l'école : à ce moment là nous étions en sortie ludique (ou pédagogique, allez savoir) au musée. Bref, c'était un de ces moments que l'on adorait en même temps que l'on détestait car dans un sens ça nous évitait de rester enfermés dans la salle de classe toute la journée durant, mais dans un autre on était obligé de se fader des exposés ennuyeux à mourir sur des pots cassés qui dataient d'une époque trop lointaine pour que ça nous évoque quoi que ce soit. Avec ma meilleure amie, on s'était donc esquivé en douce histoire de trouver quelque chose de plus amusement à faire que de rester plantés là à écouter le blabla inintéressant de la maîtresse. On s'était donc faufilé tout en haut du bâtiments, faisant la course pour celui qui arriverait en haut de tous les escaliers en premier. Ce fut moi bien entendu, et pour la narguer, je suis allé l'attendre sur le rebord d'une fenêtre en prenant la pause de celui qui attend depuis des lustres. À peine m'avait-elle rejoint d'un air mécontent que ce fut l'apocalypse. En tous cas est-ce comme ça que je m'en souviens. Tout est devenu très flou, et une force que je n'avais pas réussi à identifier alors nous avait frappé de plein fouet pour, je crois, nous faire traverser la vitre derrière nous. Automatisme que je remercierais toujours, on se prit la main, trouvant dans ce contact avec l'autre le peu de réconfort que l'on pouvait trouver dans ce chaos. Ensuite, ce n'est plus que mélange de couleurs grisâtres et douleurs diverses. Puis, la chose suivante dont je me souviens fut qu'on s'est accroché à un arbuste qui sortait de l'eau - ce qu'on ne savait pas c'est qu'en fait c'était tout ce qui restait émergé d'un gigantesque arbre. Une eau tumultueuse où les débris menaçaient de nous écorcher les membres, voir de nous cogner au point de nous faire couler, nous entourait, et nous étions effrayés. Assez en tous cas pour nous accrocher à ces branches comme si notre vie en dépendait. Car elle en dépendait. Tous deux ne comprenions absolument rien de ce qu'il était en train de se passer, et on se serrait dans nos bras, nos larmes coulant à flots. Heureusement au bout de ce qui nous avait paru être une semaine (mais avait été en fait un jour et demi), un bateau était passé et nous avions encore juste assez de forces pour lui faire des signes. Il nous avait récupéré à son bord, et c'est à ce moment qu'on nous appris ce qu'il venait de se passer. Il me fallut longtemps pour intégrer cette nouvelle donnée qui bouleversait ma petite vie tranquille, et ce ne fut qu'au bout du troisième jour que nous passions dans ce bateau que je sorti de ma léthargie. Je pleura la perte de mes parents pendant tout le reste du voyage, jusqu'à ce que l'on arrive enfin sur des terres. Il paraît que c'est un message radio qui nous avait conduit ici. Moi je pensais que c'était la volonté d'un être supérieur qui voulait que l'on soit saufs. Je ne m'en rends compte que maintenant, mais j'étais déjà parfaitement formaté pour adhérer aux idées de la nouvelle religion.
◐ Aimeriez-vous retrouver la terre ferme un jour ? Ben ouais. J'avoue que c'est mon vœu le plus cher. Vous n'imaginez d'ailleurs même pas dans quel état d'euphorie je suis quand je dois délivrer un message sur le nouveau continent ; étant colon je n'ai pas vraiment l'«autorisation» d'y aller si ce n'est pour quelque chose de très important comme délivrer un message (de toutes manières où est ce que je crècherais là-bas, hein ? Dans le campement il y a tout juste de quoi accueillir les cultivateurs, alors pour un p'tit gars qui fout rien...). J'adore tout autant la sensation de me retrouver enfin sur la terre ferme que l'odeur des végétaux et même, oui, même celle de la terre. Je m'en enivre autant que je peux, car une fois le message délivré à la bonne personne et embarqué dans un quelconque navire en direction de la plateforme, je ne sais absolument pas quand sera la prochaine fois que je pourrais fouler un véritable sol. Peut être dans 3 jours, peut être dans 3 mois... Non pas que je ne me sois pas habitué à l'eau, depuis ces dix dernières années franchement j'en ai eu l'occasion. Mais soyons francs, l'Homme n'a jamais été fait pour vivre sur les océans, et moi encore moins. Il m'arrive d'ailleurs encore régulièrement d'avoir le mal de mer. Et je déteste ça.
◐ Êtes-vous un adepte de la nouvelle religion ? Les extrémistes vous font-ils peur ou êtes-vous plutôt d'accord avec eux ? À vrai dire vous avez devant vous un mèriste convaincu les gars ! Je ne saurais trop dire si j'ai commencé à y croire par moi-même ou si je n'ai fais que suivre la pensée de ceux qui m'avaient recueilli parmi eux. Mais est ce que ça a une réelle importance ? L'essentiel est que j'ai ouvert les yeux, et que Mèr nous a clairement fait comprendre qu'elle ne supportait plus ce qu'on lui faisait subir depuis des centaines d'années, et que désormais elle reprenait le pouvoir. Je pense que c'est d'ailleurs entre autres pour ça que chaque fois que je suis allé en mer je n'ai eu aucun problèmes ; pas de tempêtes, pas de courants contraires ni rien... Elle sait que je la respecte et que je ne ferais plus jamais rien contre elle, que je ne ferais plus jamais rien qui puisse lui faire du mal ou la dévaloriser. Quant aux extrémistes, ils sont devenus ma famille. Alors bien sûr que non je n'ai pas peur d'eux. D'ailleurs vous ne devriez pas non plus, ce sont les personnes les plus gentilles et attentionnées que j'ai jamais rencontré. Vous savez que c'est eux qui m'ont élevé ? Et bien croyez-moi que c'est pas tout le monde qui aurait prit un orphelin sous son aile et se serait décidé à l'éduquer, le nourrir et le choyer comme son propre enfant. Au final j'aurais eu de la chance dans mon malheur, j'aurais hérité de trois parents. Ceci dit vous avez bien entendu du soucis à vous faire si vous ne respectez pas Mèr, car croyez-moi qu'ils ne rigolent pas avec ça. Pas du tout même. Et ouais, je suis complètement d'accord avec eux sur le principe, mais parfois je dois avouer que leurs manières de faire me mettent légèrement mal à l'aise. Mais bon, comme je l'ai dis plus tôt, ils sont ma famille, et je les soutiendrais toujours, d'autant plus qu'ils n'ont pas tort.
◐ Que pensez-vous des pirates ? Pour tout vous avouer à vrai dire je n'en n'ai jamais vu. Ceci dit j'ai entendu un bon nombre d'histoires sur eux, et comme les pirates de mon enfance, ils sont pour moi un peu une légende, voire un mythe. Oh bien sûr je crois à leur existence, mais pour l'instant j'ai tendance à les considérer comme des rigolos. Ouais, peut être que je changerais d'avis si jamais je me retrouvais face à l'un d'eux. Enfin on verra.
◐ Est-ce que l'eau vous fait peur ? Oui et non dirons nous. En fait j'ai pas peur de l'eau dans le sens où je ne peux pas voyager en bateau, ou je ne peux pas prendre une douche ou un bain, et tout ça. Par contre j'ai vraiment très peur des profondeurs. Je m'explique : il m'est quasiment impossible de me baigner dans la mer, ou rien que de mettre un orteil dans l'océan car tout ce que je ne vois pas qui est en dessous (je sais pas moi, les poissons, les épaves, les ruines etc.) ça me fout les j'tons. En fait plus que de l'eau, ce serait de ne pas savoir ce qu'il y a sous moi qui me terrorise. Tout comme lorsque je suis sur la plateforme et qu'une tempête s'annonce ou bat déjà de son plein, je n'ai qu'une hantise : qu'un gigantesque mur d'eau ne fonde sur nous comme c'est arrivé en 2012. Dans ces moments-là je ne supporte pas être seul, j'angoisse à mort, et il faut obligatoirement quelqu'un qui me tienne compagnie sinon... ben je sais pas ce que je ferais, mais disons que ce serait pas forcément beau à voir. Au minimum je serais en train de trembler et chialer comme une merde sous ma couverture, pelotonné dans un coin de notre maison sur la plateforme.
◐ Que regrettez-vous le plus de votre vie passée ? Définitivement ma famille. Putain ce qu'elle me manque. J'en suis pas fier, mais parfois il m'arrive de pleurer en pensant à eux, et à la fin qu'ils ont eu. Dire que leurs cadavres sont sûrement encore dans l'eau. Je n'imagine même pas l'état... Je préfère pas. Sinon à part mes parents, mon frère et ma sœur, ce que je regrette le plus ce sont les plaisirs de l'enfance qui ne furent que trop courts du coup. Comme manger des bonbons, boire du soda, ou encore ne pas se soucier de quoi que ce soit, et encore moins du lendemain, tout simplement. Enfin comme je l'ai dit précédemment, vivre sur la terre ferme me manque cruellement. J'aurais pu devenir cultivateur vous allez me dire, mais il aurait fallu pour cela que je me sépare de ceux qui étaient devenus ma famille, et ça je ne le peux pas. Alors je me contente du peu que je peux avoir, et essaie de profiter un maximum chaque fois que j'y vais. Et vous savez quoi ? La dernière fois, étant donné qu'on m'avait débarqué à l'endroit opposé à celui où se trouvait la personne à laquelle je devais délivrer un message, les cultivateur m'ont prêté... un cheval ! Non vous n'avez pas la berlue, je viens bien de parler de cheval. Vous savez, cet équidé magnifique. Bon ne sachant pas vraiment monter j'ai eu mal aux fesses et aux dos pendant des jours, mais l'expérience valait le coup. Je me suis rendu compte alors que c'était ça aussi qui me manquait : ne pas avoir put connaître tous les animaux qui existaient auparavant. Heureusement que j'ai mon fidèle chien pour combler un peu ce manque là.